dimanche 20 décembre 2015

Des chances de nationalité

Si Paris est depuis Louis XIV la capitale de la mode, il va sans dire qu’elle porte une certaine responsabilité, qu’elle prend pourtant de plus en plus le luxe de laisser aux oubliettes : il y a certaines  idées que Paris trouve aujourd’hui démodées, comme ce genre d’idées auxquelles aspire, quoiqu’on en pense, la majorité des gens dans le monde. Même s’ils ne mangent pas tous les jours à leur faim, n’en déplaise à Maslow.

Avant de parler pyramides, prenons un des instruments en apparence des plus simples : un triangle. Pas un triangle amoureux, quoiqu’il ne coûte rien d’y mettre un peu de cœur. Non, un triangle de valeurs : liberté, égalité, fraternité.

M’est avis que ce ne sont plus exactement ces valeurs-là qui sont aujourd’hui les vraies valeurs de notre très chère République. J’en parlerai un autre jour, il y a de quoi en faire des tartines. Mais aujourd’hui, je vais me concentrer sur le beurre, étant donné qu’il cristallise aujourd’hui un peu toutes les peurs.

Imaginez que vous êtes né, jusque-là ça ne doit pas être trop trop dur, c’est arrivé à à peu près tout le monde, même si pas grand-monde ne s’en rappelle. Imaginez en plus, ça ne va pas demander un très gros effort, que vous êtes né sur le territoire français. Jusqu’ici, on parle toujours de choses que vous ne pouvez pas trop maîtriser, n’est-ce pas ? Imaginez encore que vous avez vécu, depuis ce jour-là, toute votre vie en France. Dans tous les cas, à 13 ans, alors qu’on ne peut toujours pas dire que vous ayez pris de grandes décisions de votre propre fait, le droit français vous octroie la nationalité française.

Alors voilà, vous êtes nés en France, vous avez vécu toute votre vie en France, mais il se trouve aussi que votre maman ou votre papa est d’une autre nationalité. Le genre de nationalité qui vous donne le droit automatique d’avoir la même nationalité que votre parent pauvre (de la nationalité française) en sus de votre nationalité française.

Oui, ça se complique un peu. Parce qu’on passerait, si l’on suivait jusqu’au bout l’idée de certaines personnes non seulement en politique mais carrément au pouvoir, rien qu’à cause de cette histoire de bi-nationalité que vous n’avez jamais maîtrisée, de citoyen français né sous la même étoile que tous les citoyens français à citoyen français mais potentiellement pas forcément soumis au même droit que tous les autres Français. Ben oui, vous aurez en plus le droit d’être déchu de votre nationalité pour être envoyé dans un pays. Pas la peine de rappeler que ce cas arrive souvent à propos d’un pays que tout le monde fuit pour se réfugier en France.

Parmi les éléments constitutifs du droit français, soit au hasard la déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, il est écrit que « tous les citoyens naissent libres et égaux en droits ».
A ce moment-là, j’espère que tout le monde comprend que je ne suis pas tout à fait d’accord avec une idée de déchéance de nationalité. Ça n’a aucun sens moral, ni aucune logique constitutionnelle.
Allez, soyons indulgent, disons que je ne suis pas encore révolté de certaines idées qui circulent. J’espère quand même que là, on n’arrive à comprendre où est le point d’achoppement entre certains Français apeurés et d’autres qui craignent d’être catalogués alors qu’ils n’ont rien demandé.

Disons que je ne suis pas tout à fait étonné que des arguments pour une déchéance de nationalité, aussi fumeux qu’ils soient, soient tenus par une certaine frange de la population qui votent légèrement très à droite. Il y en a qui ont peur de tout et de tout le monde, et qui ne comprennent pas la construction du monde autrement que par le repli sur soi et l’isolement. Soit. Ils ont droit de s’exprimer.

Ce que je comprends moins, c’est qu’une partie de l’échiquier politique, qui se targue en plus d’être plus républicain que les autres (oui, ils ont un peu piqué la blague à Coluche, sauf que là, ce n’est pas une blague), joue constamment les fous en allant choper des voix juste à côté sans remettre en cause cet argumentaire anticonstitutionnel.

Heureusement, tous les autres partis avaient trouvé tout cela bien scandaleux. Et, grâce à de grands cris d’or frais (c’est un jeu de mots, pas une faute d’orthographe), ils se sont fait élire en 2012, promettant le changement comme jamais. Effectivement, tout a changé. Pas tout de suite, comme promis, mais assez vite tout de même. Aujourd’hui, même la gauche vote pour la déchéance de nationalité pour des personnes nées françaises. Et ce sont ces mêmes traîtres à leur électorat qui se prennent tous pour de Gaulle à crier à tue-tête (non, là, il n’y a pas de jeux de mots) des « je vous ai compris » sans infléchir pour autant cette politique populiste qu’ils étaient censés combattre.

Ne me dites pas que ce sujet est un non-sujet. Ne me dites pas que ces mesures ne concernent pas ceux qui n’ont rien à se reprocher. Ces faiseurs de lois annoncent aujourd’hui tous les jours dans les médias que tous les Français ne naissent pas égaux. Ils font chaque jour un peu plus le jeu de ceux contre qui ils appellent   au front républicain.

Au lieu de jouer aux moines copistes, il faut peut-être se souvenir de temps à autre que la majorité préférera toujours l’original.

A bon entendeur,
Misha Karchy.